L’infanticide chez les mammifères est largement répandu.
La fréquence de ce comportement perturbe les éthologues depuis les années 1970 avec les premières études rapportant ces faits lors de patientes observations dans le milieu naturel.
Certains chercheurs ont émis l’hypothèse que les espèces concernées étaient stressées par la destruction de leur habitat naturel et la proximité avec l’homme. Les premiers cas ont été constatés chez des singes langurs vivants dans les villes de l’Inde. D’autres ont évoqué une stratégie sexuelle permettant à l’animal tueur d’augmenter ses chances de reproduction.
Le constat est dans tous les cas accablant : chez 119 différentes espèces de mammifères, on voit des mâles tuer les petits des autres — aucun meurtre de ses propres petits n’ayant jamais été constaté chez les mammifères (à l’exception notable de l’homme).
Principales espèces concernées : les primates, les grands carnivores et les rongeurs. L’infanticide intervient majoritairement chez des espèces vivant en groupe, pouvant se reproduire tout au long de l’année et fonctionnant sur la dominance fragile d’un mâle. Sortant vainqueur des combats contre ses rivaux, le nouveau dominant s’empresse de tuer les petits du rival vaincu pour stopper la lactation de la mère et la rendre à nouveau disponible pour la reproduction.
Au cours de l’évolution, les femelles auraient pu s’assurer la protection d’un seul mâle et donc choisir la monogamie, ou bien s’organiser en groupes de défense des petits. La nature a retenu une autre option, qu’il s’agisse d’une femelle souris ou d’une hippopotame. Elles multiplient les partenaires ce qui fait que les mâles, dans le doute, s’abstiennent de tuer un petit qui pourrait être le leur…
Très étudiés car faciles à observer dans la savane de l’Afrique australe, les babouins chacmas de l’Okavango (Botswana) vivent en groupes dominés par un mâle qui doit souvent remettre son titre en jeu. Le vainqueur peut être battu quelques jours ou quelques semaines plus tard, aussi doit-il s’accoupler au plus vite. Et donc tuer les petits qui ne sont pas les siens pour rendre leurs mères de nouveaux fécondes. Résultat : jusqu’à 70 % des petits peuvent ainsi être éliminés. En revanche, les survivants sont pris en charge par leur géniteur qui s’investit dans la protection de sa descendance. Les pères reconnaissent leur progéniture à l’odeur, au cri, à la forme du visage. Mais il arrive qu’ils se trompent…
Chez le lion, les mâles sont itinérants tandis que les femelles vivent en groupes sédentaires. Les prises en force de ces groupes se font lors d’affrontements entre fratries de deux à trois lions. Si les assaillants l’emportent, les petits sont tués et les frères se partagent le harem, non sans quelques tensions.
Autre exemple avec l’ours brun qui vit en solitaire sur de vastes étendues recoupant le territoire de femelles lui appartenant – et qu’il ne rencontre que pour la copulation. Souvent absent de ce territoire, il ne lui est donc pas toujours possible d’en défendre l’accès, laissant une chance à d’éventuels rivaux. L’infanticide intervient quand le mâle se rend compte de son infortune par plusieurs indices : la persistance de l’odeur du concurrent, l’évaluation de la période de chaleur de la femelle et le physique de l’ourson. Car un ours est capable de déterminer si un petit est de lui ou pas en détectant des différences faciales et corporelles, comme la couleur du pelage.
Gorilles, babouins, chimpanzés : tous les grands singes pratiquent l’infanticide… sauf le bonobo. Cette espèce serait même la preuve du succès de la stratégie de multiplication des partenaires. La femelle bonobo compte en effet beaucoup plus de partenaires sexuels que l’espèce voisine des chimpanzés, rendant totalement inutile l’infanticide.
La compétition ne se passe plus entre mâles mais entre spermatozoïdes de chaque individu, ce qui a amené à l’augmentation de la grosseur des testicules. Alors que le chimpanzé pèse en moyenne 45 kg contre 40 kg pour un bonobo, celui-ci a des bourses 15 % plus grosses… Surprenant non ?